jeudi 11 décembre 2008

Chine le dernier acte de la crise

Récapitulons notre scénario élaboré il y a déjà plus de 3 ans.
La décision des autorités américaines du Président Clinton d’imposer en 2000 au très faible président de la FED Alan Greenspan des baisses successives de leur taux directeur jusqu’à un niveau historiquement jamais vu, ceci afin de contenir l’éclatement de la bulle spéculative des dot.com, a eu pour conséquence un afflux là encore jamais vu d’argent facile et gratuit, et un emballement du crédit sous toutes ses formes.
La suite, nous la connaissons maintenant dans l’ordre suivant : bulle du crédit immobilier, bulle de la titrisation des risques, bulle des hedges funds, bulle des matières premières et bulle du pétrole.
Le choc de la crise du système bancaire US et en corolaire international a fait prendre conscience à de nombreux décideurs de la réalité d’une récession économique, suivie d’une dépression (plus de 2 trimestres négatifs) et enfin d’une déflation de tous les actifs.
C’est exactement ce qui se passe. Le dernier acte peut s’installer. Depuis l’été 2007 et l’éclatement de la crise des « subprimes », de très nombreux économistes et commentateurs nous ont déversé une nouvelle théorie dite du découplage, l’idée étant que les BRIC, Brésil, Russie, Inde et Chine, pays émergents en tant que puissances économiques, avaient un marché intérieur suffisamment fort pour ne pas ressentir les effets dévastateurs de la crise de consommation massive qui arrivait en Occident.
Evidemment, cette idée grotesque n’a pas résistée longtemps aux réalités de la globalisation. L’émergence de la Chine comme usine du monde s’est faite sur un seul critère : produire énormément de biens de consommation pour énormément moins cher…
Les usines se sont donc très vite délocalisées, attirées par un environnement économique très attractif : les salaires les plus bas de la planète, une masse gigantesque de travailleurs disponibles, aucun risque de revendication sociale, des pouvoirs exécutifs favorisant une opacité des entreprises et des marchés financiers.
A cet effet, le pouvoir central de Beijing a mis en place une politique plus ou moins forcée de transferts de population, essentiellement masculine, des territoires agricoles vers les nouvelles zones industrielles, d’abord vers les côtes (Canton, Shanghai) puis le centre de la Chine (Changsha, Lanzhou, Chengdu). Il n’y a évidemment aucun outil statistique chinois officiel de cet afflux mais les services occidentaux l’évaluent entre 80 et 120 millions de personnes déplacées, c’est à a dire un peu moins de 10 % de la population globale de l’Etat Chinois. Ces travailleurs paysans émigrent seuls, sans leur famille, charge à eux d’alimenter les campagnes par le gain de leur salaire d’ouvrier. Prendre le train en Chine en direction de l’intérieur dans des wagons bondés d’hommes seuls permet immédiatement de comprendre la problématique.
Alors la crise, quel rapport ?
Là encore, de même que les signes annonciateurs de cette crise majeurs étaient présents de par cette financiarisation forcenée de l’économie, l’arrêt brutal de la consommation hors produits de nécessité aurait inévitablement une conséquence lourde sur les exportations made in China.

Différentes émeutes sévèrement réprimées se sont produites dans toutes les zones industrielles chinoises, toutes avec le même modus operandi : fermetures d’immenses usines devant le manque de commandes, licenciements massifs, pas de prestations sociales, retour a la terre pour les paysans ouvriers…sauf que cela n’est plus possible. La Chine s’est habituée à cet afflux d’argent occidental, ses travailleurs aussi, et le pays se trouve dans l’incapacité totale de traiter ce problème.
Ces émeutes sont des mini soulèvements qui conjuguent autant les sentiments de faim, de désespoir que de rejet du pouvoir central de Beijing. Tout est prétexte à descendre dans la rue, mais toujours en toile de fond d’une précarité devant le futur, sentiment inconnu dans les dix dernières années. Là encore, rien n’arrive par hasard. Le bruit courait toutes les salles de marchés que les jeux Olympiques de Beijing 2008 constituerait le chant du cygne, que l’avenir était sombre.
A cet égard, la subtile manœuvre chinoise dans le traitement différencié de la France vis-à-vis de ces partenaires économiques européens, Allemagne en tête, via la rencontre de Nicolas Sarkozy et du Dalaï Lama, ne doit pas nous abuser.
La Chine reste le principal pourvoyeur (30% de la production mondiale) de l’industrie de la contrefaçon autant dans les secteurs de l'horlogerie et de la maroquinerie de luxe que les baladeurs numériques, les cosmétiques, les médicaments, les pièces de rechange automobile, les composants électroniques... sans oublier les "griffes" et le sportswear qui sont des incontournables depuis des décennies.
Ce sont en tout près de 200 000 emplois perdus en Occident, d'après les douanes et les études de divers ministères de l'Economie. Cette hémorragie devient insupportable en ces temps de crise où le chômage explose -- + 45 900 demandeurs d'emploi en France en octobre.
Il y a un sévère ralentissement de la croissance en interne, une fois passé le rush des Jeux olympiques. Pékin se retrouve confronté à un chômage de masse, à la fermeture de milliers d'usines et à un surstock d'articles impayés, destinés à l'export, dont les clients ne prennent plus livraison.
La Chine menace de reporter des commandes d'Airbus. Là non plus, il ne faut pas se laisser impressionner : ces avions ne seront pas fabriqués à Toulouse ou à Hambourg pour être livrés sans délai à l'empire du Milieu une fois peint sur l'empennage le logo des compagnies d'aviation locales.
La plupart des appareils seront en effet construits sur place, sous licence EADS, par des ouvriers chinois. Le report des commandes pénalise d'abord les salariés domestiques... mais il va soulager les banquiers de certaines compagnies chinoises qui s'étaient un peu emballées, se fiant à des projections de croissance du trafic aérien exagérément optimistes.
Un sommet franco-chinois, c'est fait pour signer des contrats... mais Pékin se retrouve aujourd'hui plutôt gêné aux entournures. L'impératif du moment est de réduire la voilure en termes de projets industriels et de consolider la demande interne.
Les incertitudes économiques ne sont certainement pas moins grandes dans l'empire du Milieu qu'en Europe ou aux Etats-Unis... sinon Pékin n'aurait jamais annoncé un abaissement de 108 points de base du taux directeur -- soit quatre crans d'un coup puisque le "pas de variation" traditionnel de la banque centrale est de 27 points de base et non de 25 points comme en Occident.
Oui, décidément, le Dalaï Lama a bon dos ; ce coup d'éclat diplomatique incriminant Nicolas Sarkozy en dit finalement assez long sur la période difficile qu'affronte la Chine après plusieurs années de croissance à deux chiffres. Et l'essentiel, pour les dirigeants de l'empire du Milieu, quels que soient l'époque ou les circonstances, est de ne pas perdre la face !